Criminalité

Définition préalable  : le terme «criminalité liée à la drogue» englobe les quatre catégories suivantes [1]:

1) criminalité psychopharmacologique: crimes et délits commis sous l’influence d’une substance psychoactive, résultant d’une consommation aiguë ou chronique;

2) criminalité économico-compulsive: crimes et délits commis afin d’obtenir de l’argent (ou des drogues) pour entretenir un usage de drogue;

3) criminalité systémique: crimes et délits commis dans le cadre du fonctionnement des marchés illicites de la drogue, comme partie intégrante des activités de distribution, offre et usage de drogue;

4) infractions à la législation sur les stupéfiants: crimes et délits commis en violation de la législation antidrogue (et autres lois connexes).

Quels faits parlent en faveur de la réduction des risques ?

La prévention de la criminalité liée à la drogue figure en tête des priorités fixées par la Confédération et les cantons pour la mise en place de traitements des personnes dépendantes et des mesures visant la réduction des risques.

L’Office fédéral de la police publie annuellement une statistique des infractions à la législation sur les stupéfiants [2]. Par ailleurs, il développe au niveau national et international des mesures visant une réduction de la  criminalité systémique.

S’agissant de la criminalité psychopharmacologique et/ou économico-compulsive , l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) se préoccupe activement d’évaluer les mesures mises en places sous cet angle : il a mandaté et financé plusieurs évaluations et études portant sur cette thématique. [Voir par exemple: 3 et 4]

Quant aux cantons qui ont implanté de telles mesures, ils  portent régulièrement leur attention sur la question de la criminalité liée à la drogue. [Voir par exemple, en matière de réduction des risques: 5]

À l’inverse d’autres politiques publiques, les mesures mises en place dans le domaine de la drogue sont systématiquement évaluées. Elles sont reconduites, ou non, en fonction de leur efficacité.

A titre d’exemple, on a testé de manière analogue à ce qui s’est fait pour l’héroïne  la possibilité d’une prescription médicale de cocaïne; à l’époque, les résultats n’ayant pas été probants, le projet fût abandonné.

La législation porte déjà son attention sur la réduction de la délinquance (criminalité psychopharmacologique et/ou économico-compulsive); la révision va durcir les mesures destinées à réduire le trafic.

L’Ordonnance sur la prescription médicale d’héroïne du 8 mars 1999 (812.121.6) pose comme but (art.1, al.1, lettre c) l’intégration sociale des participants, ainsi que la réduction de la délinquance associée. [6]

L’évaluation du programme de prescription médicale d’héroïne a démontré qu’il conduisait à une diminution massive de la délinquance des toxicomanes traités.

Avant leur entrée dans le programme, ces derniers constituaient une population fortement ancrée dans la délinquance, mais le traitement a permis de réduire le pourcentage de personnes délinquantes et, de manière encore plus importante, le nombre de délits commis. [7]

Les sondages de délinquance autoreportée enregistrent une diminution d’environ 90 % de la fréquence des délits contre la propriété et de la vente de drogues dures. [7]

En ce qui concerne les données du casier judiciaire, ces dernières permettent de constater une diminution d’environ 80 % des condamnations qui y sont inscrites. À ce niveau, on constate aussi des diminutions très importantes pour ce qui est des jours de prison imposés ainsi que des jours passés en prison préventive. En outre, la durée moyenne des peines de prison imposées s’est réduite de plus de 50 %.  [7]

En ce qui concerne les dossiers de police, le pourcentage de toxicomanes engagés dans la délinquance s’est réduit de 40 %, tandis que la diminution du nombre de délits enregistrés dépasse largement 60 %. Cette diminution ne se limite pas au court terme : au contraire, elle se maintient même après 24 mois de traitement. [7]

Des études effectuées à large échelle à l’étranger arrivent toutes à des résultats similaires : les traitements de substitution ont un impact positif sur la criminalité liée à la drogue.

Les différents éléments tirés de l’ensemble de la littérature scientifique et de la consultation du groupe de médecins experts convergent pour reconnaître aux programmes de prescription d’héroïne les effets suivants. :

  • Situation sociale : amélioration significative à moyen terme des indicateurs sociaux (logement, emploi et revenu) et du fonctionnement social, notamment éloignement de la scène de la drogue. A long terme ce dernier résultat reste significatif.
  • Délinquance et criminalité : diminution du nombre de dénonciations et de la criminalité. [8, p 8]

 

Dans le domaine de la réduction des risques, l’attention ne se porte plus uniquement sur les risques individuels pris par le consommateur de stupéfiants ; elle se préoccupe également d’atténuer le risque social (vol, transmission du VIH, etc.) encouru par les non consommateurs.

Plusieurs études menées aux Etats-Unis démontrent une persistance de l’impact positif des traitements de substitutions sur le taux de criminalité.

En 1989, l'Etude sur les Perspectives de Résultat des Traitements (Treatment Outcome Perspective Study), une pièce centrale dans l'évalutaion des taitements des dépendances chimiques aux Etat-Unis, a trouvé que 32% des patients entrant dans un traitement de substitution à la méthadone avouaient avoir commis un ou plusieurs crimes l'année précédant le traitement. Trois à cinq ans après le traitement, seulement 16% des patients reportaient des activités criminelles, une réduction de 50%.

Une étude de 1991 à Baltimore, Philadelphie et New York a montré que les programmes de substitution à la méthadone dans ces villes correspondaient à une réduction des crimes de 71% chez les participants. Les patients en traitement pour six ans ou plus avaient la plus faible incidence de crime.  [9]

L’étude « Drug Abuse Treatment Outcome Study » (DATOS) a débuté au début des années 1990 . Elle porte sur plus de 10 000 clients, recrutés à partir de 96 programmes de traitement entre 1991 et 1993. Les données de suivi après 5 ans (Simpson et coll. 2002) sur les personnes présentant à l'entrée une dépendance à la cocaïne (708 sujets de 8 villes), montrent des diminutions radicales de la consommation après un an, diminution  qui se maintiennent dans une large mesure après 5 ans : 69 % consommaient de la cocaïne au moins une fois par semaine à l'entrée, ils étaient 21 % après un an et 25 % après 5 ans. Les données montrent aussi une diminution de la délinquance (40 % à l'entrée, 16 % après un an et 25 % après 5 ans) et des arrestations (34 % à l'entrée, 22 % après un an et 18 % après 5 ans). [10, p135]

En France, la majorité des participants à des traitements de substitution relatent une diminution significative des risques liés à la consommation de produits.

L'enquête multisites (Brest, Clermont-Ferrand, Montpellier, Mulhouse, Paris) effectuée par l'association AIDES (Calderon et coll. 2002) auprès de 506 personnes sous substitution avait pour objectif de décrire l'impact des traitements du point de vue des personnes. [ ... ] Sur l'ensemble des personnes interrogées, on observe que la substitution s'est accompagnée d'une diminution importante des risques liés à la consommation de produits avec des résultats plus marqués dans les situations suivantes : 73 % déclarent moins de risques de s'engager dans des « situations galères », 61 % déclarent moins de risque « d'avoir des problèmes avec la police ou la justice », et 57 % moins de risque « de commettre des actes de délinquance », pourcentages qui varient en fonction du produit de substitution. [10, p 127]

S’agissant des « locaux d’injection », plusieurs études ont démontré qu’à l’opposé des idées reçues en la matière, l’implantation de telles infrastructures destinées à la réduction des risques, ne conduisait à aucune augmentation de la délinquance de proximité ; bien au contraire, elles avaient une influence positive sur l’ordre public.

Au Canada, une étude de 2004 sur le premier centre d'injection supervisé (CIS) d'Amérique du Nord   ouvert à Vancouver en 2003 étudie le taux de criminalité autour du local un an après son ouverture.

L'étude a trouvé que plusieurs indicateurs de l'ordre public se sont améliorés, notamment la réduction du nombre de toxicomanes s'injectant des drogues sur l'espace public et la présence de seringues sur la voie publique.  [11,9]

Dans l’ensemble, les faits démontrent d’abord que les CIS réduisent la nuisance publique et le risque à la population (seringues souillées, consommation de drogue en plein jour, etc.) parce qu’ils offrent aux usagers de drogues injectables (UDI) de la rue un  endroit où s’injecter des drogues.

Par exemple, à Francfort, le nombre de consommateurs de drogues s'injectant en public est passé d’environ 800 en 1991-1992 à 150 en 1993, période durant laquelle sont apparus des CIS, des interventions en santé publique et des réformes administratives. Les plaintes du voisinage concernant la consommation de drogue en public y ont chuté de façon notable. [12]

Les réactions du corps policier face aux CIS varient selon les localités, mais sont généralement positives. Par exemple, la police de Zurich veille à ce que les CIS soient réservés à la population locale. [12]

En Allemagne, quelques corps policiers, réticents au départ, reconnaissent  que les CIS sont nécessaires pour fournir des conditions sanitaires acceptables  aux UDI. Ils reconnaissent également que les CIS ont grandement aidé à maintenir l’ordre public depuis leur implantation. [12]

En Australie, le service de police de Nouvelle-Galles du Sud a participé de très près à la planification et à la création d'un CIS de même qu’à son évaluation. Il  reconnaît  le rôle du CIS en tant qu’initiative de santé publique. [12]

Le service de police de Vancouver s’est associé à l’établissement du CIS et  continue de l’appuyer. Comme on  souligné précédemment, la police estime que l’ordre public s’est amélioré depuis l’ouverture du CIS. [12]

En matière de prévention secondaire, des programmes axés sur les jeunes ont démontré leur efficacité et leur rentabilité.

Un programme  américain destiné aux enfants afro-américains de familles à bas revenus proposant des activités d'apprentissage participatif et de support familial mis en place il y a plusieurs décénies a été récemment évalué. Les résultats montrent que les personnes ayant participé au programme à l'âge de 3 et 4 ans maintenant âgées de 40 ans utilisent moins de drogues, commettent moins de crimes et travaillent plus que les autres. Les économies publiques ont été calculées à 12.90 dollars pour chaque dollar initialement investi dans le programme. Ces économies sont avant tout réalisées grâce au taux de criminalité plus faible. [14, p 6]

Quelles Positions ont les organisations internationales ?

Selon l’OMS, l’ONUDC et l’ONUSIDA, la participation à des traitements de substitution entraîne une baisse des activités criminelles.

D'après une étude de l'OMS, l'UNODC (Office contre la Drogue et le Crime des Nations Unies)  et ONUSIDA, les programmes de traitement de substitution peuvent réduire le coût individuel de la dépendance aux opioïdes, mais aussi le coût subi par la famille et la société en général en réduisant l'usage de l'héroïne, la mortalité, le risque de transmission du VIH et les activités criminelles. [15, 9]

Selon ces mêmes organisations, chaque franc investi dans le traitement permet d'économiser entre 4 et 7 francs en frais liés à la criminalité.

D'après l'OMS, l'UNODC  et ONUSIDA, chaque dollar investi dans des programmes de traitement de dépendance aux opioïdes peut réduire les coûts de criminalité liée à la drogue  et de frais de justice de 4 à 7 dollars. En prenant en compte les économies du système de santé, les économies peuvent dépasser la proportion de 12 pour 1.  [15, 9]

 

Bibliographie

 

[1] EMCDDA, Drogue et criminalité: une relation complexe,  Lisbon: EMCDDA, 2007; http://www.emcdda.europa.eu/html.cfm/index36331EN.html.

[2] fedpol, Statistique policière de la criminalité - Statistique suisse des stupéfiants 2007,  Berne: Office fédéral
de la police , 2008;
http://www.fedpol.admin.ch/etc/medialib/data/kriminalitaet/statistik/kriminalitaet.Par.0010.File.tmp/ALLES_DEF_BMS_
PKS_07_FR.pdf.

[3] OFSP, “Évaluation dans le domaine des dépendances”; http://www.bag.admin.ch/themen/drogen/00042/00634/index.html?lang=fr.

[4] OFSP, “Evaluations externes dans le domaine des dépendances (Archives)”; http://www.bag.admin.ch/evaluation/01759/02066/02458/index.html?lang=fr.

[5] “infodrog : Publications - Réduction des risques”; http://www.infodrog.ch/pages/fr/publ/publ_11.htm.

[6] Ordonnance du 8 mars 1999 sur la prescription médicale d’héroïne; http://www.admin.ch/ch/f/rs/c812_121_6.html.

[7]   Marcelo F. Aebi, Denis Ribeaud et Martin Killias, “Prescription médicale de stupéfiants et délinquance : Résultats des essais suisses,” Criminologie,  vol. 32, 1999, pp. 127-148; http://www.erudit.org/revue/crimino/1999/v32/n2/004707ar.pdf.

[8] Zobel F, Dubois-Arber F., Brève expertise sur le rôle et l'utilité des structures avec local de consommation (SLC) dans la réduction des problèmes liés à la drogue en Suisse : expertise réalisée à la demande de l'Office fédéral de la santé publique,  Lausanne: Institut universitaire de médecine sociale et préventive, 2004;
http://www.bag.admin.ch/evaluation/01759/02066/02343/index.html?lang=fr&download=M3wBPgDB/8ull6Du36
WenojQ1NTTjaXZnqWfVp7Yhmfhnapmmc7Zi6rZnqCkkIR2f3qBbKbXrZ6lhuDZz8mMps2gpKfo.

[9] OSI, “Harm Reduction: Public Health and Public Order,” Sep. 2007;
http://www.soros.org/initiatives/health/focus/ihrd/articles_publications/publications/fact_20070927/Harm%20Reduction--Public%20Health%20and%20Public%20Order.pdf.

[10] Daniel Sanfaçon, Olivier Barchelat, Dominique Lopez et Chantal Valade , Drogues et dommages sociaux,
OFDT, 2005; http://www.ofdt.fr/ofdtdev/live/publi/rapports/rap05/domsoc05.html.

[11] E. Wood et coll., “Changes in public order after the opening of a medically supervised safer injecting facility
for illicit injection drug users,” Canadian Medical Association Journal,  vol. 171, 2004, pp. 731-734;
http://www.cmaj.ca/cgi/content/full/171/7/731
.

[12] Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies  (CCLAT), “FAQ  sur les centres d’injection
supervisés (CIS),” 2004; http://www.ccsa.ca/NR/rdonlyres/69AD6A93-1443-4739-AB0D-
B7D9A2CBDF16/0/ccsa0106582004.pdf.

[13] Neil Hunt, DCRs- The evaluation literature on drug consumption rooms (Paper B), Joseph Rowntree
Foundation, 2006; http://www.jrf.org.uk/bookshop/details.asp?pubID=785.

[14]  Alex Stevens, Mike Trace and Dave Bewley-Taylor, Reducing drug-related crime: an overview of the global evidence
Witley, Royaume-Uni: The Beckley Foundation Drug Policy Programme, 2005; http://www.internationaldrugpolicy.net/reports/BeckleyFoundation_Report_05.pdf.

[15] WHO/UNODC/UNAIDS, Substitution maintenance therapy in the management of opioid dependance and HIV/AIDS prevention. WHO/UNODC/UNAIDS Position paper , 2004; http://www.unodc.org/docs/treatment/Brochure_E.pdf.

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